Quand la metteuse en scène Anne Théron a lu les mots de Tiago Rodrigues, elle en a été bouleversée. Le dramaturge lisboète, déjà accueilli à l’Archipel, réécrit Iphigénie en bousculant les fondements même de la tragédie : que se passe‑t‑il si les hommes n’ont plus de comptes à rendre aux dieux ? Si Iphigénie, qui doit être sacrifiée pour que les Grecs puissent partir en guerre, choisit de mourir, quelle héroïne devient-elle ? Voilà une pensée révolutionnaire, qui ouvre un immense champ des possibles. Pour la première fois, les personnages doivent assumer l’entière responsabilité de leurs actes. Leurs émotions n’en deviennent que plus fortes et légitimes. Ici Clytemnestre, la mère d’Iphigénie, est une femme en colère : « Si Iphigénie meurt aujourd’hui, je n’oublierai pas », dit-elle. Derrière cette phrase se dessine tout l’enjeu de la mémoire qui peut autant achever que délivrer le personnage. Iphigénie le sait bien, elle qui demande justement à sa mère de l’oublier pour rompre cette malédiction tragique. Les neuf comédiens français et portugais évoluent sur un plateau fragmenté en îlots, autant de failles annonciatrices des déchirures engendrées par le conflit qui vient.